Mon mot préféré de la langue française est sans doute la consomption.
Elle est l’autre nom de la tuberculose, qui était une des premières causes de mortalité en France jusqu’au début du 20e siècle. C’était une maladie courante et dévastatrice, généralement liée aux lieux mal ventilées, aux petites maisons et appartements avec des familles pauvres et nombreuses. Elle se répandait par voie aérienne.
Au XVIIIe siècle en Europe, avant même la révolution industrielle, le taux de mortalité était de 900 personnes sur 100 000 chaque année. Aujourd’hui, en France, le cancer représente 250 personnes sur 100 000 chaque année avec une population bien plus âgée. On la retrouve à toutes les époques, dans toutes les civilisations, notamment chez les Grecs sous le nom de phtisie. Evidemment, la malnutrition aidait la propagation de cette maladie, qui prospérait chez les corps affaiblis. La maladie a été amplifiée au XIXe siècle avec l’exode rurale. À la fin du XIXe siècle, dans les villes, 40% des décès se produisant chez la classe ouvrière étaient dus à cette maladie. On estime qu’un quart de la population européenne adulte a été décimée par cette maladie sur ce siècle.
Cette saloperie n’a été vaincue qu’au XXe siècle, grâce aux progrès scientifiques des sociétés occidentales, avec l’identification claire de la maladie, la vaccination BCG, la synthèse et la production de masse de médicaments. Edvard Munch, le célèbre peintre, a perdu sa mère et sa sœur de cette maladie, ce qui a laissé chez lui une empreinte indélébile, que l’on peut retrouver dans de nombreuses œuvres. Sa série d’œuvres intitulées “l’enfant malade” représente sa sœur, Sophie, alors que cette maladie la consumait. Des tableaux et des dessins difficiles à regarder, qui ont gagné en puissance évocatrice avec le temps, en nous mettant face à face avec une horreur irréaliste enfouie dans notre passé.
Quand je regarde une œuvre de Munch, je vois la véritable condition humaine, une consomption. Quelque chose qui nous dévore le corps, et contre lequel on ne peut pas grand chose, sinon se projeter vers l’avant et utiliser notre génie. La civilisation européenne et la modernité ont été un vaccin contre la véritable condition humaine, et le rousseauisme est un mensonge. Le Cri, lui même, représente une silhouette hurlante sur un paysage de nature absurde, incompréhensible et cauchemardesque, un anti-romantisme.
Voilà à peu près ce qu’était le quotidien de l’humanité avant la révolution scientifique dont ont accouché les occidentaux. Malheureusement, pour la première fois depuis longtemps, le nombre de cas de tuberculose réaugmente dans le monde. Un avant goût du monde d’après, qui pourrait bien être, si rien n’est fait, une copie du monde d’avant.
Entrepreneur, ingénieur spécialisé dans les technologies d’Intelligence Artificielle.